Art & Culture // Rencontres

Rencontré à Redon, JEF évoque ses œuvres récentes et ses projets

19 juillet 2018 //

J’ai profité de mon passage à Redon pour rencontrer JEF, un artiste de la ville qui participe à de nombreux festivals dans la région et ailleurs. Connu pour ses visages, il souhaite s’orienter de plus en plus vers la transposition sur les murs de l’esprit BD qu’il affectionne. L’occasion de mieux connaître son univers intérieur et ses références artistiques

En faisant le tour de la halle Garnier, un des deux spots principaux de Redon, j’interroge JEF sur ses réalisations, en commençant par cette fresque sur un jeune Guinéen de 19 ans menacé d’expulsion.

« Yaya est un jeune Guinéen qui est parti de son pays à 16-17 ans après avoir vu une de ses amies se faire tuer devant lui. Il est arrivé en Italie et a fait un peu de rétention. Puis il est atterri en France à Redon ».

Pourquoi Redon ?

« Pourquoi pas Redon ! Il est en formation charpente et terre cuite au « Transformateur ». Il devait passer son diplôme pour sa formation et vu qu’il était expulsable, tous les soirs il devait se pointer à la gendarmerie. Sauf qu’il y a un mois il a su qu’on allait le renvoyer en Italie, donc il ne s’est pas présenté ! Il a dû se cacher, ce qui n’était pas simple car il devait passer son diplôme ! J’ai rencontré un vidéaste professionnel sur le secteur qui a fait une interview de ce jeune et comme ça commençait à être chaud pour lui et que ça se mobilisait pas mal, il m’a dit : « Tu ne pourrais pas faire une fresque ? » Je lui ai répondu : « Pourquoi pas ! ».

J’ai ramené du monde, j’en ai parlé à droite à gauche et puis finalement ça s’est fait. C’était histoire de parler un peu de sa situation, le journal Ouest France avait fait des articles, il y avait des manifestations tous les mardis sur Redon pour empêcher son expulsion.

J’ai contacté un des seuls artistes de Redon que je connaisse, Pierre-Marie Huet. Il ne fait pas beaucoup de murs, il en a fait une fois dans sa vie, il fait plutôt des tableaux mais il est un peu engagé et j’avais envie d’avoir quelqu’un du coin. J’ai eu aussi un gars de Saint-Nazaire dont je ne peux pas vraiment citer le nom parce qu’il a un côté street artiste et un côté vandale ; il est intervenu avec son blase de vandale, donc je ne peux pas le citer. Et j’ai fait venir aussi EZRA et KAZE »

La suite ?

"La bonne nouvelle c’est qu’il n’a plus besoin de se présenter à la gendarmerie : il était quand même accompagné de vingt personnes tous les soirs pour qu’il ne reparte pas directement en Italie dans un charter ! Un collectif a mis en place une espèce de veille ; ils l’accompagnaient pour faire pression sur la gendarmerie et qu’il ne soit pas embarqué. Donc, il est un peu plus tranquille actuellement. Le collectif a tambouriné partout, a rencontré le préfet. Il y a eu un boulot d’ensemble qui a fonctionné. J’avais vu sa vidéo, j’avais trouvé cela assez touchant, c’est l’histoire de plein d’autres gamins, j’ai réagi en tant qu’artiste citoyen"

Nous continuons notre visite de la halle Garnier et nous arrivons devant deux grands portraits assez monumentaux.

« Il y avait longtemps que je n’avais pas peint pour moi ; j’ai fait récemment pas mal de festivals, j’ai pas mal bossé avec que le Diaspora. Depuis quelque temps, je voulais réaliser quelque chose où je décide ce que je fais et à quel moment je le fais. J’avais besoin de faire un truc pour moi sans aller trop loin… Redon, c’était l’endroit idéal ! Et puis j’avais du chrome à cramer parce que j’ai récupéré pas mal de chrome sur un festival"

J’ai galéré un peu à Plozévet [1] parce que le chrome, je n’en fais jamais. J’en ai récupéré pas mal je me suis dit, bon je vais réessayer de tenter un visage au chrome, en prenant le temps cette fois-ci, parce qu’à Plozévet, on avait 2 heures 30 pour faire la fresque, on n’avait pas le temps d’expérimenter, il fallait tracer…

Mes portraits m’ont permis de prendre un peu plus de temps pour travailler un peu différemment le chrome. Ce n’est pas ce que je préfère mais c’était un essai »

Puis nous arrivons devant un visage de jeune femme avec l’inscription « TANK GIRL ».

« Ça date d’au moins six mois. C’est une TANK GIRL. Je suis un grand fan de BD. Là, tu as une référence à Jamie Hewlet. C’est le dessinateur de tout le concept de Gorillaz, le guitariste et chanteur du group Blur, les concurrents d’Oasis à l’époque. Il s’est lancé sur un truc électro-rock-hip-hop avec le principe qu’on ne voit jamais lui et son groupe.

On ne voit que des personnages en fait. Et c’est Jamie Hewlet qui a réalisé ces dessins.

Dans les années 90, la grosse époque des BD indépendantes, des magazines indé, Punk, Jamie Hewlet avait dessiné TANK GIRL, une nana toxico, dépressive, complètement nympho qui conduit un tank et qui vit avec un kangourou !

Moi, j’adore ce mec-là ! J’ai quelques dessinateurs comme ça, quelques BD, quelques univers que j’adore. Je suis un gros consommateur de BD. Ça va de styles très différents : par exemple Yslaire qui a fait une grosse série, « Sambre », qui ne m’a pas trop botté, mais aussi « Chronique du XXe ciel », l’histoire de l’humanité durant le XXe siècle avec pour tous les grands événements et surtout les guerres, un ange qui est toujours présent — un ange qui est spectateur ou acteur de cette histoire. Le dessin est une tuerie.

Je me rends compte que de plus en plus je me rapproche de cet esprit BD dans mes visages. Là, c’est vraiment que de la BD. Je fais un hommage à TANK GIRL parce que j’adore, j’adore ce personnage. Ça faisait longtemps que je voulais le faire et voilà, c’est fait. C’est un hommage"

Nous délaissons — provisoirement — Redon et je montre à JEF une photo de la fresque qu’il a réalisée à Plozévet.

« Je ne suis pas satisfait de moi. C’était un gros challenge, c’était en live avec quand même 500 ou 600 personnes présentes. Ça commençait à 21 heures et ça finissait à minuit, que sur une nuit. On avait une demi-heure de pause »

Tu avais prévu ton coup, j’imagine ?

« Heureusement, parce que si on n’avait pas anticipé ça aurait été impossible. On avait esquissé noir sur noir »

C’est complètement un autre style que ce que tu fais d’habitude.

« Quand j’ai commencé à dessiner, je faisais du cartoon. Tu vois ce que fait Worm ? Je faisais dans ce style avant, dans les années 2010, jusqu’à 2014. Je faisais du perso qu’on appelle cartoon, du personnage BD en fait, avec les codes de la BD ».

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Beaucoup de graffeurs ont cette culture-là.

« Tous, tous. Je n’en connais pas un seul qui n’a pas le nez dans la BD. Donc, moi, ça ne me pose aucun problème de faire ça. Avec le MOKER [2] je travaille beaucoup plus ce style-là parce que c’est le style qui va correspondre à ce qu’ils font ; je ne peux pas utiliser mon style à moi mais ça ne me pose pas de problème parce que c’est une chose que j’aime bien et que je maîtrise bien. Le style BD, le traçage BD, j’ai les codes de cet univers-là. J’ai fait quelques Marvel, tu vois, j’ai fait le Hulk, j’aime bien en plus. Ce n’est pas un truc qui me dérange de changer de style même si ce n’est pas mon identité visuelle »

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Pourquoi n’es-tu pas content de ce que tu as fait à Plozévet ?

"Si j’avais eu plus de temps et plus d’expérience avec le chrome, Je pense que j’aurais pu faire mieux. Dans les détails, surtout dans les volumes. Parce que c’est assez compliqué le chrome. Les hachurés c’est une technique qu’on rencontre souvent en BD pour donner de la profondeur ou de l’ombre. C’est typique de l’école belge.

Tu peux vraiment bien travailler le chrome avec du noir mais personnellement je travaille avec plein de couleurs. Avec le chrome tu ne peux pas recouper de la même façon. Tu ne peux pas faire de dégradé en plus, tu ne peux pas mélanger ton chrome et ton noir par exemple. C’est une technique un peu différente. C’est assez spécial. C’est pour cela que j’ai tenté les visages pour voir ce que je pouvais faire vraiment avec du chrome, au calme. C’était un essai : est-ce que je peux faire quelque chose de correct ou pas ? Il y a encore des petites choses à choper. C’est ça, quand tu fais quelque chose de nouveau, tu es obligé de réinventer, de redécouvrir. J’aime bien aussi me forcer à faire autre chose, À ne pas rester que sur les acquis. Même moi je me fais ch… à toujours faire les mêmes choses ! »

Comment tu vois ton évolution ?

« Sur les BD, j’ai quelques idées. Il y a des gens que j’ai envie de reproduire parce que j’aime vraiment ce qu’ils font. Par exemple Christophe Chabouté qui est un dieu du noir-et-blanc et qui, moi, me troue le c… tellement il est fort.

Il y a aussi Guillaume Griffon qui a fait Billy Wild avec Ceka et qui travaille aussi en noir-et-blanc.

J’aimerais bien faire des reproductions mais aussi reprendre des personnages que j’ai imaginés sur des cahiers autrefois. Mais il va falloir que je les reprenne, que je ressorte des persos dont je n’étais pas satisfait à l’époque et les travailler autrement, avec quelqu’un sans doute. J’ai aussi pas mal envie de faire du Gotlib…"

Puis nous sommes allés au « Transformateur », l’autre spot de Redon.

Mais au cours de mes pérégrinations en Bretagne cet été j’ai souvent vu les portraits de JEF.

Ici à Vannes…

… au lycée Saint-Joseph…

… ou dans les souterrains du Palais des Arts…

Mais aussi à Saint-Nazaire…

Ou à Quimper, rue de la Providence :

Ou encore à Saint-Brieuc pour le festival « Just Do Paint » de juin 2018.

On attend la suite avec impatience !...

Notes

[1L’arène du graff en juin 2018

[2Crew qui intervient sur Redon, Lorient, etc.

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